Mardi 3 juin, lors des questions au gouvernement, Aurélien Rousseau, debout, face à son auditoire, s’apprête à briser un tabou. Après de longues semaines d’absence dans l’hémicycle, le seul député Place publique se confie. « Nombre d’entre nous vivent ou ont vécu avec le cancer en le disant parfois publiquement […] comme je peux le dire aujourd’hui […] pour dire aux Françaises et aux Français que ces sujets intimes sont aussi des sujets de politique publique », déclare-t-il avec sobriété, une pointe de pudeur dans la voix. Les applaudissements sont unanimes. Rare moment de concorde dans un hémicycle aussi polarisé.

Dix jours plus tard, lorsque Le Point retrouve l’ancien ministre de la Santé dans un café proche de chez lui, l’élu s’épanche plus en longueur sur cette révélation. Voilà plusieurs mois qu’il est atteint d’un cancer – sans préciser lequel exactement. Plusieurs mois de combat intime et personnel, mais aussi de cheminement. Si certains en politique tels que Raphaël Glucksmann ou le groupe socialiste à l’Assemblée étaient au courant, le reste de la classe politique l’ignorait. « Dois-je l’annoncer ? » s’est-il interrogé à plusieurs reprises. « Je n’en ressentais pas le besoin au départ, mais cela a commencé à trotter dans ma tête », confie le seul député Place publique de cette législature.

En tant que député, que risque-t-il ? Être mis au placard comme plusieurs milliers de salariés à l’annonce d’une maladie en entreprise ne lui arrivera pas. Une position de privilégié qu’il ne peut occuper sans agir. « Les Français ont souvent le sentiment que la politique, c’est une vie parallèle, je me suis dit que le fait de parler de ce sujet dans l’hémicycle aurait sa part d’utilité. » Le flot de messages, d’encouragements et de remerciements reçus depuis en est peut-être une preuve… « Si quelques personnes se sont dit “je peux parler de mon cancer”, tant mieux, il faut lever le tabou », sourit l’ancien professeur d’histoire avec tendresse avant de reprendre son sérieux.

Subjugué par Raphaël Glucksmann

L’ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne veut être clair. Pas question d’être résumé à cette déclaration et à sa situation. « C’est la dernière fois que je m’exprime sur le sujet, je ne veux pas tout mélanger ». Entre politique et intime, une barrière doit subsister. Dont acte. Changeons de sujet, parlons politique.

Il faut dire que depuis son départ du gouvernement en décembre 2023 sur fond de désaccord avec le projet de loi sur l’immigration porté par l’exécutif, la carrière d’Aurélien Rousseau a connu quelques changements. À la rentrée 2024, subjugué par Raphaël Glucksmann lors de sa campagne des européennes, l’élu commence à suivre l’actualité de l’eurodéputé. Par l’intermédiaire de proches, une rencontre est même organisée. « Lui veut tout comprendre et, moi, j’ai longtemps servi aux plus hauts rangs de l’État, une connexion s’est faite », raconte l’ex-ministre. Le contact est noué et les premiers échanges sont positifs.

Peu après la dissolution, deux jours avant le dépôt des investitures, il reçoit alors un appel du patron de Place publique pour lui proposer une circonscription dans le cadre des accords du Nouveau Front populaire. Aucune évidence en soi pour le quarantenaire qui ne partage par exemple guère de points communs avec ses collègues Insoumis. Une réflexion est nécessaire. En coulisses, certains le poussent. « Ta connaissance de l’État sera un atout », lui glisse Olivier Faure. « Il ne faut pas refaire la Nupes 2.0 », lui enjoint de son côté François Hollande. Et puis le ralliement d’Éric Ciotti au Rassemblement national enfonce le clou. « Alors que la droite réussit à s’unir, la gauche échoue ? Cela a fini de me convaincre », relate le député, qui sera élu au second tour face à une candidate RN et une autre Renaissance.

Un dialogue sur le fond

Désormais relais des idées de Place publique à l’Assemblée nationale, Aurélien Rousseau s’investit depuis un an à structurer la jeune formation créée en 2018. Aux côtés de Raphaël Glucksmann, la ligne est simple : en 2027, pour incarner une autre gauche face à celle portée par Jean-Luc Mélenchon, il faut travailler sur la base programmatique. « Je suis convaincu que ce qui fait la force, c’est d’avoir une ligne politique, de dire aux Français ce que l’on veut faire », pense le député. En ce sens, le 23 juin, le parti pro-européen présentera ses premières réflexions. « Ce ne sera pas un projet clé en main, mais des pistes proposées que l’on ouvrira ensuite à la société civile, aux partenaires sociaux et aux autres partis politiques », énonce Aurélien Rousseau. Et contrairement à certains acteurs de gauche, le nouveau pilier de Place publique plaide pour mener en priorité ce dialogue sur le fond. Tant que celui-ci n’aura pas lieu, hors de question de parler du casting.

En retrait du congrès socialiste qui s’est tenu pendant six mois et qui a conduit à la réélection d’Olivier Faure le 6 juin dernier, l’élu appelle désormais ses collègues à rejoindre la discussion. « Il n’y a pas de ligne de fracture nette avec eux, nous devons échanger avec le PS, avec Olivier Faure et avec la direction », annonce-t-il, convaincu que la dynamique des européennes, où Raphaël Glucksmann, allié avec la formation à la rose, avait obtenu le score de 13,8 %, est à nouveau possible.

Il nous faudra être au rendez-vous.Aurélien Rousseau

Reste que la tâche n’est pas aussi simple. Entre les deux partis, un point doit être tranché. Car quand Olivier Faure ne dit pas non à l’idée d’une primaire de la gauche, le patron de Place publique la refuse catégoriquement. « Je ne participerai pas à un truc d’appareils qui produit une synthèse molle », a-t-il déclaré récemment dans les colonnes du Monde.

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Conscient que des visions différentes se font face au sein de l’espace social-démocrate, Aurélien Rousseau préfère les balayer et ne pas en faire un point d’achoppement. « Travaillons sur les idées et chacun choisira ensuite », réclame-t-il avec optimisme. De toute façon avant cela, une autre échéance se profile, rappelle le haut fonctionnaire. Celle des municipales.

Peu valorisé depuis la création du mouvement, ce scrutin n’en est pas moins essentiel dans la consolidation de Place publique, estime le député. Une occasion idéale pour s’extraire de cette image de formation tournée uniquement vers les sujets européens et internationaux. « Il nous faudra être au rendez-vous. En particulier dans les villes où le RN fait un carton, mais aussi dans la ruralité. »